La mobilité : l’un des grands défis urbains

Le transport des personnes représente l’un des principaux défis des centres urbains, et ce partout dans le monde. Non seulement la congestion cause-t-elle des impacts environnementaux importants, mais ses conséquences économiques et sociales sont sans précédent.

À Montréal seulement, les impacts financiers liés à la congestion sont estimés entre 1,8 G$ et 2,5 G$ par année (source : Le Devoir). Sachant que d’ici 2050, plus de 66 % de la population mondiale habitera dans les villes (source : Nations Unies), repenser la mobilité devient un impératif.

En réponse à la densification urbaine et aux pressions créées par l’enjeu des transports, on voit émerger de nouveaux services, produits et modèles d’affaires qui cherchent à contribuer à une meilleure mobilité urbaine. Les services de transport à la demande, dont Uber est devenu le symbole, tentent de maximiser l’utilisation des actifs existants possédés par les citoyens. L’industrie automobile, longtemps en déclin, est dans une phase accélérée d’innovation. La mise en marché massive de véhicules autonomes semble vouloir se concrétiser plus rapidement que la plupart des spécialistes l’avaient envisagé. Cette poussée d’innovation n’est plus pilotée uniquement par les manufacturiers automobiles, mais par d’importants joueurs de l’industrie des technologies, dont les capacités financières paraissent presque illimitées. Enfin, l’intégration de l’ensemble des services de mobilité dans une offre commerciale intégrée – le modèle Mobility as a Service – est en voie de passer du concept à l’exécution.

Les organisations de transport public sont donc confrontées à une toute nouvelle réalité. Ces piliers de la mobilité, souvent en place depuis plusieurs dizaines d’années, savent que leur rôle doit évoluer et se questionnent en conséquence.

Mais comment les autorités et sociétés de transport public peuvent-elles mieux se positionner pour devenir des gestionnaires de mobilité dans leur région ?

Comment peuvent-elles accomplir leur mission première, celle du transport des personnes, dans un écosystème bouillonnant où de nouvelles technologies, de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles s’entrechoquent ?

1. Adopter une vision « porte-à-porte » de la mobilité

Au cours des dernières années, l’industrie du transport public a consacré des efforts importants à la valorisation de ses usagers et à la qualité des services qui leur sont offerts. On n’a qu’à penser à l’amélioration de l’information aux voyageurs, à la billettique, aux réseaux sociaux et à une panoplie d’autres services destinés à améliorer l’expérience client.

Mais, dans un contexte de multimodalité accrue, cette notion de client a un effet potentiellement pervers : celui de fragiliser la vision d’une mobilité intégrée. Bien sûr, toute entreprise, qu’elle soit publique ou privée, se doit d’offrir un service à la clientèle de haute qualité. Cependant, la mobilité d’aujourd’hui est plus complexe, plus diversifiée et plus volatile qu’elle ne l’était il y a quelques années. À cela s’ajoutent les habitudes de déplacement des citoyens de plus en plus changeantes. Dans cette perspective, la notion omnipotente de « client » n’est-elle pas contre-productive ? Si un train est en retard, mais que l’autobus qui attend à la gare fait tout de même son départ à l’heure prévue, par souci d’un bon service, l’expérience de déplacement est-elle vraiment améliorée ? Les sociétés de transport public, historiquement évaluées sur l’achalandage et la ponctualité, devraient-elles adopter de nouveaux indicateurs de performance de mobilité comme la fluidité des correspondances, le temps total de déplacement ou l’expérience globale des voyageurs dans une perspective de transport porte-à-porte ? Cette question, même si elle n’est pas nouvelle, est toujours aussi actuelle.

Dans l’optique d’améliorer le service, il est important que les organisations de transport public adoptent une vision globale de la mobilité des citoyens et qu’elles élargissent leur conception de la mobilité à l’extérieur des frontières du transport public. Elles devront considérer la chaîne globale des déplacements des voyageurs – qui comprendra l’utilisation des transports publics traditionnels comme le bus, le métro ou le train – ainsi que d’autres modes de transport, comme les services à la demande et les véhicules en libre-service… et même l’automobile, dans une certaine mesure. En adoptant une vision complète de la situation, c’est un nouveau schème de pensée qui s’installe, positionnant le transport public comme la colonne vertébrale de la mobilité de demain.

2. Planifier une offre intégrée au-delà des services traditionnels de transport public

Cette vision élargie peut se concrétiser, entre autres, par la planification d’une offre de transport public qui prend davantage en compte l’écosystème complet de la mobilité et la chaîne globale des déplacements des voyageurs. Il y a plusieurs années, lorsque l’offre de transport était moins diversifiée, la planification du transport public était surtout centrée sur elle-même : c’est-à-dire avec l’objectif d’offrir un niveau de service équilibré entre la demande, la disponibilité des ressources et le territoire à couvrir. C’est toujours vrai aujourd’hui, mais les nouveaux écosystèmes de mobilité offrent de nouvelles opportunités aux organisations de transport public de repenser leur offre.

Si un territoire (par exemple, un secteur industriel), a une demande réduite en soirée ou les fins de semaine, n’est-il pas plus adéquat et efficace que des services de taxis ou de transport à la demande assurent la couverture, plutôt que les autobus traditionnels ? Et si de tels services sont déjà implantés, sont-ils optimaux ? Une société de transport public pourrait-elle convertir certaines lignes fixes de bus en services de transport à la demande, comme l’a expérimenté la ville d’Helsinki avec son service Kutsuplus ? Ou encore, s’allier aux fournisseurs de services tels qu’Uber, Lyft ou Bridj pour compléter son offre de services ? GIRO assiste d’ailleurs certains de ses clients dans cette réflexion et des expérimentations sont en cours.

Cette refonte de l’offre a donc le potentiel de libérer des ressources pour augmenter le niveau de service là où la demande est la plus forte, par exemple, en période de pointe sur les axes lourds. C’est donc en amont que peut commencer l’application d’une vision intégrée de la mobilité. Bien sûr, les défis sont nombreux. Il demeure essentiel que l’intégration de nouveaux services se fasse dans un cadre réglementaire valide, dans un souci d’équité sociale et dans une perspective d’optimisation des ressources humaines, financières et techniques.

3. Optimiser la chaîne globale de déplacements pour une mobilité efficace

Le foisonnement de l’offre de transport, qu’elle soit publique ou privée, accroît la pression sur la chaîne de déplacements. L’utilisation du transport public s’intègre généralement dans une séquence plus large. Un voyageur va, par exemple, conduire son automobile jusqu’à la gare, monter dans le train et ensuite prendre le métro, le bus ou marcher jusqu’à sa destination. Chacun de ces changements de mode a le potentiel de causer une rupture dans la chaîne de déplacements. Par conséquent, cela aura comme effet de réduire la mobilité et de nuire à l’expérience des voyageurs. Ainsi, il est essentiel d’assurer une meilleure fluidité dans les transferts intermodaux, qu’ils soient en transport public seulement ou non. L’important est de garder en tête que l’auto-solo, bien qu’elle ait son lot d’inconvénients, offre généralement des déplacements sans rupture. La perspective de la voiture autonome pourrait éventuellement étendre encore plus cette perception de fluidité des déplacements en se vantant d’offrir une plus grande liberté.

Aujourd’hui de nouvelles technologies et engins d’optimisation sont mis à la disposition des organisations de transport public pour minimiser les impacts des correspondances intermodales. En combinant l’application de ces engins aux capacités de traitement de données des plus récentes plateformes, on peut aujourd’hui ajuster le service de façon à globalement minimiser les temps de déplacement avec transferts. C’est un exercice qui était jadis difficile, voire impossible à appliquer sur de grands réseaux, mais qui peut aujourd’hui être effectué régulièrement à mesure que l’offre de transport évolue. Il en résulte un service de transport public plus intégré, plus fluide et optimisé. Par exemple, des outils pourront « apprendre » des habitudes des voyageurs pour optimiser leurs déplacements multimodaux. Ou des opérateurs pourront offrir des services aux voyageurs à mobilité réduite en combinant le transport en véhicule adapté et le transport public « traditionnel » dans un même déplacement.

4. Adopter une culture de l'innovation, créatrice de pratiques, services et outils

Les entreprises les plus reconnues dans le monde sont celles qui ont adopté une culture de l’innovation. Des compagnies comme Apple, Facebook, Airbnb et Amazon ont toutes révolutionné l’offre, mais aussi les modèles d’affaires de leurs industries respectives. En transport, ce sont les Uber, Tesla et Google qui sont devenus les symboles de la nouvelle mobilité. Bien sûr, ce sont des entreprises privées, dont les capacités financières sont largement supérieures à celles des organisations de transport public, grandement financées par l’État.

Cependant, ces leaders d’industrie adoptent des approches qui pourraient bénéficier au transport public. Elles suivent un processus continu d’expérimentation et leur succès est parfois probant, parfois mitigé. Ces entreprises font le pari que leurs clients bénéficieront davantage de leurs innovations que des inconvénients qu’elles pourraient leur causer. Elles considèrent que la tolérance au risque est quelque chose qui peut s’accroître sur la base de la valeur perçue. À cet égard, l’industrie du transport public se retrouve devant une occasion unique de se redéfinir et d’afficher une attitude plus novatrice et plus entrepreneuriale. Elles ont la chance d’embrasser l’innovation comme levier de transformation et de se positionner en tant que leaders de la mobilité dans leur propre région.

Jamais le transport n’aura tant été au cœur des préoccupations des citoyens, des villes et des acteurs de l’industrie. Les organisations de transport public font face à une opportunité extraordinaire de jouer un rôle accru dans l’amélioration de la mobilité. En adoptant une vision élargie, une culture de l’innovation et en utilisant les plus récentes avancées technologiques, les organisations de transport public seront dans une excellente position pour agir comme gestionnaires de mobilité dans leur région et structurer l’écosystème de transport des prochaines décennies.

Note sur l’auteur : Alexandre Savard est gestionnaire principal chez GIRO, une entreprise québécoise, leader mondial des solutions logicielles de planification, d’optimisation et de gestion des opérations dans le transport public et postal. En affaires depuis plus de 35 ans, GIRO soutient plus de 300 organisations dans plus de 25 pays et emploie plus de 350 spécialistes.

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Source: Association Canadienne du transport urbain (http://cutaactu.ca/)

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